Hypophosphatémie post-partum : comment interpréter cette situation ?


Par Dr Richard Eicher, Dr méd. vét., DES, MSc

Il est courant de constater, lors d'un syndrome de vache couchée après vêlage, une diminution de la concentration sanguine de phosphore (plus précisément de phosphate inorganique). À cela s'ajoute souvent une calcémie normale chez ces vaches, ce qui a conduit certains conseillers en alimentation à conclure qu’un apport en phosphore insuffisant avant vêlage joue un rôle dans le développement du syndrome de la "fièvre du lait" ou "fièvre vitulaire (FV)", entraînant ainsi une augmentation des apports en phosphore durant la phase de préparation.

 

Mécanismes de l’hypophosphatémie post-partum

La principale cause de l’hypophosphatémie est l’hypocalcémie. Lors du vêlage, une grande partie du calcium sanguin est dirigée vers la glande mammaire pour enrichir le colostrum en calcium, entraînant une hypocalcémie plus ou moins sévère. La vache répond à cette hypocalcémie par une sécrétion accrue de parathormone (PTH), laquelle induit non seulement une normalisation de la calcémie, mais également deux effets moins connus : 1) un déplacement du phosphate vers les glandes salivaires et 2) une augmentation de l’excrétion urinaire de phosphate. Ces mécanismes, combinés à la réduction de l’ingestion alimentaire due à l’hypocalcémie, provoquent une baisse de la concentration sanguine en phosphate (Goff, 2004). Dans la majorité des cas, la correction de la calcémie s’accompagne d’un retour à la normale des concentrations de phosphate. Toutefois, environ 10 % des vaches (Goff, 2016) ne parviennent pas à normaliser leur phosphatémie et deviennent des "Downer Cows". La raison pour laquelle cette minorité de vaches échoue à restaurer une phosphatémie normale reste inconnue (Goff, 2004).

 

Augmenter les apports de phosphore avant vêlage : une bonne idée ?

La réponse est clairement NON. L’un des mécanismes de rétablissement de la calcémie est l’activation de la vitamine D3 par l’enzyme 1α-hydroxylase, produite par le rein sous l’influence de la PTH (Goff, 2014). Cette enzyme fonctionne de manière optimale lorsque les apports en phosphore sont restreints (Yoshida et al., 2001). Par conséquent, des apports élevés en phosphore durant la phase de transition peuvent inhiber l’activation de la vitamine D3 et compromettre la restauration d’une calcémie optimale (URL Doccheck). Il est recommandé de limiter les apports en phosphore à un maximum de 0,4 % de la ration totale en phase de transition, car des rations plus riches en phosphore augmentent le risque de FV (Goff, 2014).

 

Intervention en cas d’hypophosphatémie post-partum

Même si le phosphore n’est pas directement impliqué dans la pathophysiologie du syndrome de vache couchée, il est crucial de corriger l’hypophosphatémie aussi rapidement que possible pour maximiser les chances de rétablissement des fonctions vitales de la vache. Les perfusions de phosphites sont inefficaces, car cette molécule n’est pas absorbée (Cheng, 1998). La correction principale consiste en un apport de phosphates par voie orale, sous forme de drench ou de bolus. La composition du produit administré doit être adaptée à l’analyse sanguine, souvent avec un apport de phosphate seul, car la calcémie est déjà rétablie.

 

Résumé des points essentiels :

- L’hypophosphatémie est une conséquence, et non une cause, du syndrome de vache couchée, résultant de l’hypocalcémie.

- Il est recommandé de limiter les apports en phosphore à environ 0,35 % de la ration de transition.

- La meilleure prévention de l’hypophosphatémie est la prévention de l’hypocalcémie.

- En cas d’hypophosphatémie avérée, des apports de phosphate par voie orale sont recommandés, selon les résultats de l’analyse sanguine.


Références :

  • Goff JP. Macromineral disorders of the transition cow. Vet Clin Food Anim Pract 2004; 20:471-494.

  • Goff JP. Personal communication. 49th Annual Conference of the AABP 2016, Charlotte, NC, USA.

  • Goff JP. Calcium and Magnesium Disorders. Vet Clin Food Anim Pract 2014; 30:359-381.

  • Yoshida et al. Dietary phosphorus deprivation induces 25-hydroxyvitamin D3 1alpha-hydroxylase gene expression. Endocrinology 2001; 142(5):1720-26.

  • https://flexikon.doccheck.com/de/Calcitriol

  • Grünberg et al. Phosphorus content of muscle tissue and muscle function in dairy cows fed a phosphorus-deficient diet during the transition period. J Dairy Sci 2019; 102:1-22.

  • Cheng YS, Goff JP. Restoring normal blood phosphorus concentrations in hypophosphatemic cattle with sodium phosphate. Veterinary Medicine 1998; 93:383-388.


Crissier, le 1er juin 2024